Infiltrations : peut-on suspendre le paiement du loyer ?
Le locataire peut‑il suspendre le paiement du loyer en cas d’infiltrations dans un local commercial ?
Dans quels cas un locataire peut‑il arrêter de payer son loyer lorsqu’il subit des désordres imputables au bailleur, comme des infiltrations ? Et jusqu’à quel point cela est‑il légitime juridiquement ?
Obligations du bailleur – l’exigence d’une jouissance paisible
Le bailleur est tenu, au titre des articles 1719 et 1720 du Code civil, de délivrer un bien en bon état, d’en assurer la jouissance paisible et de procéder aux réparations nécessaires.
En cas de manquement, le locataire peut invoquer l’exception d’inexécution (ancien article 1184, devenu 1219). Toutefois, la jurisprudence est exigeante : cette exception n’est recevable que si le trouble rend le local impropre à son usage contractuel.
Voici une illustration de ce concept, tirée d’une histoire vraie.
Contexte factuel – un local affecté par des infiltrations
Une locataire cesse de payer les loyers pour protester contre des infiltrations dans son local commercial, situées dans les parties communes de la copropriété. Malgré cela, les travaux sont votés, mais la locataire empêche leur réalisation. Le bailleur engage une procédure pour résilier le bail et obtenir l’expulsion.
En première instance comme en appel, le tribunal autorise la consignation des loyers au lieu de la résiliation.
Décision de la Cour de cassation – restrictions à l’exception d’inexécution
L’arrêt du 6 juillet 2023 (n° 22‑15.923)
La Cour de cassation casse la décision d’appel. Elle rappelle que l’exception d’inexécution ne peut être légitimement invoquée que si les infiltrations rendent le local impropre à l’usage auquel il est destiné, et non simplement rendu moins confortable. La consignation des loyers n’est donc pas permise lorsque l’exploitation du local reste possible.
Le raisonnement juridique
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L’article 1719 du Code civil impose au bailleur la délivrance et l’entretien du bien.
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L’exception d’inexécution, bien que reconnue, est encadrée par la jurisprudence : le trouble doit être suffisamment grave pour empêcher l’usage du local selon sa destination.
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La Cour d’appel n’a pas légalement justifié son autorisation de consignation, car elle n’a pas vérifié la condition d’impropriété, indispensable à la recevabilité de la demande.
Enseignements pratiques pour les bailleurs et locataires
Pour le bailleur
Il doit réparer rapidement les désordres pour éviter la contestation du paiement du loyer. Sans preuve d’une gêne rendant le local impropre, une consignation des loyers ne peut être ordonnée par la justice (et encore moins décidée d’office par le locataire).
Pour le locataire
Suspendre le loyer peut être une stratégie — mais risquée. Si l’usage du local est encore possible, il s’expose à :
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Une demande en justice de constat de résiliation de bail et expulsion,
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Condamnation à payer le loyer non versé.
Il est donc impératif d’établir que les troubles empêchent véritablement l’exploitation du local selon son usage prévu.