L’article 1793 du code civil dispose que : « Lorsqu’un architecte ou un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire ».
En clair, le forfait est intangible sauf accord des parties. Cela signifie que l’aléa d’un surcoût lié à des découvertes imprévues est supporté par l’entreprise. Et la cour de cassation a rappelé récemment qu’en cas de marché à forfait, les travaux supplémentaires relèvent du forfait s’ils sont nécessaires à la réalisation de l’ouvrage 3ème civ, 18/04/2019 n°18-18801).
En l’occurrence, le devis quantitatif limite les travaux confiés à l’entreprise de démolition à la « démolition du plancher béton sur sous-sol » alors qu’il s’est révélé, après démolition de la dalle en béton, que celle-ci reposait en réalité sur une assise granitique rocheuse compacte qui a rendu indispensables d’importants travaux de déroctage sur environ la moitié de la surface du plancher bas
Alors, comment peut procéder une entreprise de travaux si en cours de chantier, elle s’aperçoit que le coût de ces travaux sera bien supérieur à ce qui avait été envisagé ?
Plusieurs pistes de réflexion :
1/ Vérifier les conditions d’application du texte. Est-ce vraiment un marché à forfait ?
- Le contrat est-il passé avec le propriétaire du sol ?
- A-t-il bien pour objet la construction d’un bâtiment ?
Par exemple, s’il ne s’agit que d’aménagements intérieurs, ce n’est pas la construction d’un bâtiment et dès lors l’article ne s’applique pas. La notion de construction fait référence au gros-œuvre d’un édifice et faisant subir à celui-ci une transformation importante.
- Le contrat a-t-il été fait selon un plan arrêté et convenu avec le maître de l’ouvrage ?
- Le prix a-t-il été définitivement fixé globalement et définitivement avec le maître d’ouvrage ?
- Les travaux à effectuer sont-ils bien ceux qui avaient été définis dans le forfait ?
S’agit de travaux supplémentaires commandés par le maître de l’ouvrage, ils sont hors forfait. Pareillement, dans un arrêt du 25 juin 2020, la 3ème chambre de la cour de cassation a décidé qu’un marché peut être forfaitaire pour une partie seulement des travaux convenus. En l’occurrence, le devis accepté de l’entreprise comportait des postes forfaitaires et d’autres pour lesquels il ne fixait qu’un estimatif voire aucun budget. L’entreprise a donc pu être payé des travaux qui n’avaient pas fait l’objet du marché forfaitaire.
2/ Anticiper !
L’article 1793 ne dit que le prix ne peut pas être modifié, il dit que le prix ne peut être modifié sans l’accord du maître de l’ouvrage, ce qui est une application du principe : « le contrat fait la loi des parties et ne peut être modifié que du consentement mutuel des parties ». Si vous êtes dans cette situation, informez le maître de l’ouvrage et indiquez-lui la difficulté. En cours de chantier, il sera toujours plus aisé de négocier une révision du tarif convenu plutôt qu’après la fin du chantier et sans information préalable. En tout état de cause, je conseille aux entreprises d’indiquer clairement dans leur devis et leurs conditions générales de vente à quoi correspond très exactement le prix proposé et d’ajouter qu’en cas de découverte imprévue dans le cadre des travaux, une tarification complémentaire sera appliquée.
Cela n’empêchera pas le maître de l’ouvrage de soutenir le caractère forfaitaire, mais cela permettra à l’entreprise de tenter de soutenir l’inverse pour obtenir une rémunération complémentaire.
3/ Si la sous-évaluation du prix des travaux est dû à une erreur de conception, alors l’entreprise peut se retourner contre le maître d’œuvre pour obtenir l’indemnisation des surcoûts.
Dans un arrêt du 5 mars 2020, la cour de cassation a répondu la responsabilité extra-contractuelle d’un architecte à l’égard d’une entreprise, celui-ci ayant sous-estimé les quantités d’armatures nécessaires à la réalisation de l’ouvrage, sous-estimation sur laquelle l’entreprise s’était fondée pour établir son devis.