Appropriation de partie communes
Tous les coups sont permis, il va y avoir du sang.
Je vous raconte cette semaine un combat à mort entre copropriétaires. Digne des plus grands combats de gladiateurs.
Âmes sensibles s’abstenir !
Au départ, un sujet banal : qui doit payer les travaux d’étanchéité de la terrasse ?
La copropriété comporte neuf lots.
En 2002, la SCI M acquiert les lots 3,4, 5 (appartements du premier étage), 6,7, 8 (appartement du 2e étage) et 9 (appartement du 3e étage).
En 2007, la SCI F acquiert les lots n° un et 2, des appartements au rez-de-chaussée.
Les lots n° 1 et 2 bénéficient d’une terrasse et selon le règlement de copropriété du droit de recouvrir cette terrasse.
Au moment du litige, les lots n° 3,4, 5 bénéficient d’une terrasse servant de toiture des pièces à vivre au rez-de-chaussée pour les lots n° 1 et 2.
Des infiltrations d’eau sont constatés dans les lots n° un et deux.
Les travaux d’étanchéité sont votés en assemblée générale en 2011 pour 11 000 €.
Mais finalement la SCI M s’y oppose et en 2012 une nouvelle assemblée générale annule la résolution ayant voté les travaux d’étanchéité.
La SCI M refus en effet de contribuer au coût des travaux de l’étanchéité des terrasses construites sans autorisation d’assemblée générale.
Une expertise est réalisée pour connaître les causes des infiltrations.
Et sur la base du rapport d’expertise, la SCI F assigne le syndicat des copropriétaires et la SCI M aux fins de les voir condamner à réaliser les travaux d’étanchéité.
Et là, tadam, la SCI M conclut reconventionnellement à la démolition des extensions des lots n° un et deux, extensions qui servent de pièces à vivre à la SCI F et de toit terrasse pour la SCI M.
La SCI F croit avoir trouvé l’argument massue : la prescription !
Les travaux ont été réalisés avant 1982 soit plus de 33 ans avant l’assignation en justice. Il est donc trop tard pour demander la démolition.
La SCI dit aussi que s’agissant de l’appropriation de parties communes s’est faite par accord entre les propriétaires de l’époque des lots du RDC et des lots du premier étage.
Elle plaide également que seul le syndicat des copropriétaires peut demander la démolition.
Et enfin elle souligne que la démolition portera atteinte aux droits des lots privatifs du premier étage qui bénéficient d’une terrasse depuis des décennies, pour laquelle la SCI M a obtenu l’autorisation de poser des vérandas.
Le tribunal déclare la demande non prescrite mais irrecevable, estimant qu’il n’appartient pas à la SCI M de demander la démolition.
Le tribunal dit que ce toit terrasse est une partie commune et condamne le syndicat des copropriétaires à faire les travaux d’étanchéité.
La SCI M n’est pas contente et relève appel.
La cour d’appel considère, elle aussi, que l’action n’est pas prescrite.
S’agissant de l’appropriation de parties communes, le délai d’action est en effet 30 ans.
Or, la SCI F est incapable de rapporter la preuve de la date à laquelle les travaux ont été réalisés.
Elle ne prouve donc pas que le délai d’action est expiré.
La cour juge également que l’appropriation de parties communes a été le fait des deux SCI.
Elle juge que la SCI M ne peut obtenir la démolition alors que les auteurs des deux SCI c’est-à-dire leurs vendeurs s’étaient mis d’accord pour cette construction.
La terrasse a été construite sans autorisation d’assemblée générale mais comme le SDC ne demande pas à la démolition, il n’y a pas lieu à l’ordonner.
La SCI M, en l’absence de KO, continue cependant son combat en formant un pourvoi en cassation.
Elle invoque l’argument suivant : chaque copropriétaire a le droit d’exiger le respect du règlement de copropriété sans avoir à démontrer un préjudice personnel. Et peu importe un quelconque accord antérieur intervenu entre propriétaires et peu importe le fait même que le copropriétaire qui demande la destruction en ai lui-même profité.
À votre avis, la SCI M a-t-elle obtenu gain de cause ?
La réponse est oui.
Dans cet arrêt du 25 janvier 2024,(RG n° 22-22. 758), la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel : en l’absence d’autorisation d’assemblée générale tout copropriétaire est fondé à demander la cessation d’une atteinte aux parties communes ou la destruction d’un ouvrage édifié en violation du règlement de copropriété.
La SCI F va donc très certainement devoir détruire les pièces construites.
Un conseil
Une autorisation de l’AG de copropriété est indispensable pour s’approprier des parties communes ou pour faire des travaux affectant les parties communes ou l’expert extérieur de l’immeuble.
À défaut, le copropriétaire s’expose à une action remise en état d’origine pendant 30 ans s’il s’agit d’une appropriation.
Il est donc nécessaire de régulariser en AG.
Moralité
Pour un litige à 10 000 € la SCI F risque de perdre plusieurs pièces.
C’est là où une médiation aurait intéressante parce qu’ici tout le monde perd : celui du RDC qui perd ses pièces à vivre et celui du premier étage qui perd sa terrasse.