Perte de vue et d’ensoleillement suite à une construction

Juin 26, 2025 | Les chroniques de la Justice, Voisinage | 0 commentaires

La perte d’ensoleillement ou de vue est-elle un trouble du voisinage?

Ces pertes n’entraînent pas automatiquement une responsabilité. Elle doit être anormale au regard des conditions locales.

Voici une illustration de ce concept.

Une querelle de voisinage autour d’une extension

« N’ayez pas de voisins si vous voulez vivre en paix. »
Alphonse Karr

Cette semaine, je vous raconte l’histoire de Monsieur et Madame Z, propriétaires d’un bel appartement avec vue sur mer dans la région de Montpellier, et de leur conflit avec un voisin ayant agrandi sa maison.

Le point de départ : une extension qui obstrue la vue

En 2001, leur voisin, Monsieur G, obtient un permis de construire pour agrandir sa villa.
Mais cette extension se rapproche dangereusement de l’immeuble voisin, obstruant la vue sur la mer et réduisant l’ensoleillement dont bénéficiaient les appartements.

Les premières démarches juridiques

Monsieur et Madame Z, soutenus par d’autres copropriétaires, saisissent la justice et obtiennent la désignation d’un expert pour évaluer :

  • La hauteur maximale autorisée du bâtiment

  • La conformité aux règles d’urbanisme

  • L’incidence des travaux sur l’immeuble collectif

Une bataille juridique en plusieurs actes

Retrait puis validation du permis

  • 2003 : le maire retire le permis

  • 2007 : le tribunal administratif annule ce retrait

  • 2010 : la Cour administrative d’appel confirme l’annulation
    => Monsieur G obtient un permis définitif et commence les travaux.

Nouvelle action judiciaire en 2011

Les voisins intentent une nouvelle procédure, cette fois pour :

  • Évaluer la conformité de la construction

  • Faire constater une perte de vue et d’ensoleillement

  • Demander la démolition de la construction sur la base du trouble anormal du voisinage

Ce que disent les juges

Sur la perte d’ensoleillement

Le tribunal et la cour d’appel rejettent cette demande.
Ils rappellent qu’en zone urbaine dense, nul ne peut espérer conserver un ensoleillement optimal, surtout si celui-ci est déjà limité.

Sur la perte de vue

L’expert désigné constate une dépréciation immobilière de 10 % due à la perte de vue sur la mer.
La cour d’appel estime que ce préjudice constitue un trouble anormal du voisinage.
Monsieur G est donc condamné à indemniser les copropriétaires.

Le pourvoi en cassation : le rebondissement final

Monsieur G n’en reste pas là. Il forme un pourvoi en cassation et fait valoir que la densité urbanistique de la zone aurait dû être prise en compte pour relativiser le trouble invoqué.

La décision de la Cour de cassation

Arrêt du 27 mars 2025 (RG n°23-21.076)
La Cour de cassation donne raison à Monsieur G.
Elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié si la configuration urbanistique de la zone permettait encore de parler de « trouble anormal ».

L’affaire est donc renvoyée devant une autre cour d’appel pour un nouvel examen.

À retenir : urbanisme et voisinage, un équilibre délicat

  • Un permis de construire régulier ne protège pas contre les litiges de voisinage.

  • La densité urbaine est un critère clé pour évaluer si un trouble est anormal ou prévisible.

  • Il est essentiel d’anticiper l’impact visuel et lumineux d’un projet immobilier sur les voisins.

Mon conseil d’avocate

Lorsque vous envisagez de construire ou agrandir, ne vous limitez pas aux seules règles d’urbanisme.
Évaluez aussi les effets sur l’environnement immédiat, notamment en matière de vue et de lumière.
Moins un projet dérange, plus il a de chances de se concrétiser sans contentieux.