Cession de bail irrégulière

Juil 23, 2024 | Bail, Les chroniques de la Justice | 0 commentaires

«On nous cache tout, on nous dit rien. Plus on apprend, plus on ne sait rien. On nous informe vraiment sur rien » chantait Jacques Dutronc.

Je vous raconte cette semaine l’histoire d’une société qui décide de quitter ses locaux en location, les cède à une autre entreprise mais omet d’en informer son bailleur.

 En septembre 2015, la société M cède son droit au bail à la société O. L’activité autorisée par le bail est la vente de vêtements.

 Cependant, la société M omet totalement de prévenir son bailleur et ça ne plaît pas du tout à ce dernier.

 Le bailleur assigne la société M devant le tribunal en résiliation du bail pour violation de la clause relative à la cession, non paiement des loyers (il a refusé que le loyer soit versé directement par le cessionnaire) et pour défaut d’exploitation du fonds. Et bien sûr, il poursuit l’expulsion.

 Le bailleur obtient gain de cause tant en première instance qu’en appel.

 Il faut donc libérer les lieux et la société M fait délivrer à son acheteuse, la société O, un commandement de quitter les lieux le 17 octobre 2018.

 La société O quitte les lieux quelques jours plus tard. 

Elle attaque la société M en justice au titre de la garantie d’éviction.

 Cette garantie prévoit en effet que l’acquéreur évincé (c’est-à-dire qui a perdu le droit d’être dans les locaux) a droit en substance à la restitution du prix de vente ainsi qu’à des dommages-intérêts.

 En clair, l’acquéreur a tout perdu, du fait du vendeur, celui-ci doit l’indemniser.

 Ici, le vendeur du droit au bail est condamné à payer une somme de 70 000 € à son acquéreur.

Si le vendeur, la société M, ne conteste pas cette condamnation, en revanche, il n’admet pas que la cour d’appel ait refusé de condamner son acheteur à lui rembourser les loyers et indemnités d’occupation qu’il a dû verser au bailleur lors durant l’occupation de la société O.

 Il y en a pour 63 000 € !

 La cour d’appel estime la société M seule responsable des loyers impayés dès lors qu’elle est responsable de l’irrégularité de la cession du bail.

 Fort mécontente, la société M forme un pourvoi en cassation.

 Elle soutient que le loyer puis l’indemnité d’occupation est la contrepartie de l’occupation des locaux. Les locaux ayant été occupés par la société O postérieurement à la cession du droit au bail, c’est à elle d’assumer in fine les loyers et indemnités d’occupation.

À votre avis, a-t-elle obtenu gain de cause ?

La réponse est non.

Dans cet arrêt du 4 juillet 2024 (RG n° 23 – 13. 822), la Cour de cassation rejette le pourvoi.

S’appuyant sur le texte relatif à la garantie d’éviction (art 1630 du code civil), elle rappelle que la société M, cédante du droit au bail, était seule responsable de l’éviction de sa cessionnaire et devait l’en garantir.

Par suite, elle ne peut obtenir le remboursement des loyers et indemnités d’éviction versés au bailleur.

Dur, dur !

Moralité

    Une cession de bail, comme une cession de fonds de commerce, est un acte de technique juridique.

    Il est donc indispensable d’être bien accompagné. Le professionnel compétent ici est un notaire ou un avocat spécialiste en droit immobilier.

    En en faisant l’économie, la société M s’est exposée à un contentieux qui a duré huit ans, à la charge mentale et aux coûts afférents ainsi à débourser une somme de plus de 130 000 €.

    À partir de là, c’est vous qui voyez !