Garantie décennale et trouble de jouissance

Juin 4, 2024 | Construction/travaux, Les chroniques de la Justice | 0 commentaires

“Chacun, en matière de jouissance, a son point de vue spécial.” disait Alexandra David-Néel (chanteuse d’opéra et exploratrice)

Ca, c’est pour la Cour d’appel qui a rendu la décision dans cette affaire.

Je vous raconte cette semaine l’histoire d’une SCI qui achète en 2011 un appartement qui vient d’être construit.

Il s’agit d’un appartement duplex à Paris au prix de 1.950.000 €.

Elle n’est toutefois pas satisfaite de la qualité du bien et engage une action à l’encontre de son vendeur, lequel est celui qui a fait construire le bien (constructeur non réalisateur).

Une expertise judiciaire a lieu et l’expert estime que deux désordres (sur une liste d’une cinquitaine) ont un caractère décennal (c’est-à-dire, qu’en application de l’article 1792 du code civil, ces désordres compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination.

La SCI assigne en justice son vendeur, lequel est condamné au titre de la garantie décennale pour ces deux désordres :

  • Une fuite dans les WC du fait d’une fixation du WC suspendu sur une plaque BA10 alors qu’il fallait deux plaques BA13 : le coût de réfection est de 620 € HT.
  • Un interrupteur installé sur une gaine technique dans le séjour annulant l’effet coupe-feu : le coût de réfection est de 1.500 € HT.

La SCI sollicite l’indemnisation de son préjudice de jouissance, qui correspond selon elle aux 2/3 de la valeur locative de l’appartement (fixée à 4.600 €) pour la période du 19.10.2011, date de son acquisition, au 3.09.2019, date des travaux de réfection, soit une somme totale de 291.270 €.

La cour d’appel, si elle condamne le vendeur au titre de ces deux désordres, refuse en revanche toute indemnisation du préjudice de jouissance.

La Cour estime que la sci ne rapporte pas la preuve d’un trouble, d’une privation même partielle de l’appartement et juge qu’au regard du caractère mineur des désordres, elle n’a subi aucun trouble de jouissance.

La SCI ne l’entend pas de cette oreille et forme un pourvoi en cassation.

Elle soutient que tous les dommages matériels et immatériels consécutifs aux désordres de l’ouvrage doivent être réparés par le vendeur tenu à garantie décennale.

La Cour d’appel ne pouvait donc refuser l’indemnisation du trouble de jouissance subi.

A votre avis, a-t-elle obtenu gain de cause ?

La réponse est oui.

Dans cet arrêt du 15.02.2024 (RG n°22-23.179), la Cour de cassation, retenant l’argument juridique de la SCI, décide que la Cour d’appel ne pouvait légalement retenir que deux désordres rendaient l’ouvrage impropre à sa destination, dont un en raison d’un risque pour la sécurité des personnes, sans indemniser le préjudice de jouissance subi.

Les désordres ne pouvaient en effet être qualifiés de mineurs.

La cour d’appel de renvoi devra donc fixer l’indemnisation de la SCI, laquelle sera fonction non du coût très faible des travaux de réfection, mais en fonction du préjudice subi par la victime.

Un conseil

Quand le désordre est de nature décennale, il est nécessaire de réparer au plus vite, pour faire cesser le préjudice de jouissance. A défaut, la note continuera à grossir.