Suspension loyer commercial : possible en cas de manquement?
Peut-on suspendre le paiement du loyer si le bailleur ne fait pas les travaux dans un local commercial ?
C’est une question récurrente pour les bailleurs et les administrateurs de biens : un locataire peut-il cesser de payer ses loyers si des travaux incombant au bailleur ne sont pas réalisés dans le local ?
La réponse dépend de plusieurs éléments : l’ampleur du manquement et la gravité de l’atteinte à la jouissance du local.
Oui, le locataire peut suspendre les loyers si le local est devenu impropre à sa destination en raison de l’inaction du bailleur
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 18 septembre 2025.
Elle a jugé que l’exception d’inexécution peut être invoquée sans mise en demeure préalable, dès lors que le local est devenu inexploitable à cause d’un manquement du bailleur à son obligation de travaux.
L’histoire : un bail commercial, un pas-de-porte impayé et des travaux non réalisés
Un bail dérogatoire qui devient un bail commercial
En novembre 2011, une société bailleur conclut avec une locataire, Madame C, un bail dérogatoire d’une durée de 23 mois pour un local commercial situé à Fort-de-France.
Le contrat prévoit un pas-de-porte de 12 000 euros, dû uniquement si un bail commercial est conclu par la suite.
À l’issue du bail dérogatoire, la locataire reste dans les lieux sans être invitée à partir. Un bail commercial se forme donc automatiquement.
Cependant, la locataire ne paie pas le pas-de-porte.
Un dégât des eaux grave et un contentieux sur les loyers
Quelques temps plus tard, un gros dégât des eaux survient, causé par des infiltrations en toiture.
Après avoir tenté d’obtenir en vain que le bailleur réalise les travaux à sa charge, la locataire cesse de payer les loyers, invoquant l’exception d’inexécution, c’est-à-dire le droit de suspendre ses obligations tant que le bailleur ne respecte pas les siennes.
Le bailleur assigne alors la locataire pour obtenir :
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Le paiement du pas-de-porte
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Le paiement des loyers impayés
Une première décision défavorable au locataire
Le tribunal, puis la cour d’appel, condamnent la locataire.
La cour d’appel considère que l’exception d’inexécution ne pouvait être invoquée qu’après mise en demeure du bailleur, ce que la locataire n’avait fait que plus tard, après plusieurs demandes amiables.
Le constat d’huissier était pourtant clair, décrivant un local très dégradé : odeurs d’humidité, infiltrations d’eau, moisissures, risques électriques et plafond endommagé.
L’arrêt de la Cour de cassation : exception d’inexécution validée
Dans son arrêt du 14 mai 2025 (RG n°23.17.948), la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Elle rappelle deux principes fondamentaux :
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Le bailleur est tenu de délivrer la chose louée et de l’entretenir pendant toute la durée du bail
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Le locataire peut suspendre le paiement du loyer sans mise en demeure préalable, si le local est devenu impropre à sa destination à cause de l’inaction du bailleur
En l’espèce, l’inexécution des travaux rendait le local inexploitable. Le refus de la locataire de payer les loyers était donc justifié. Le bailleur a ainsi perdu ses loyers pour cette période.
MON conseil d’avocat spécialiste en DROIT IMMOBILIER
L’exception d’inexécution est un moyen de défense utile, mais à manier avec précaution.
Elle ne peut être invoquée que si deux conditions sont réunies :
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Le local est inexploitable (et pas simplement dégradé)
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L’inexploitation est directement liée à un manquement du bailleur à ses obligations
En pratique, pour les bailleurs comme pour les administrateurs de biens, il est impératif de réagir immédiatement en cas de signalement de désordre. L’inaction peut entraîner la perte du droit à percevoir les loyers.