Vente et obligation de délivrance

Mai 14, 2024 | Les chroniques de la Justice, Vente immobilière | 0 commentaires

« Ignorance est mère de tous les maux » disait François Rabelais

Je vous raconte cette semaine l’histoire de Madame T qui fait l’acquisition d’une coquette maison dans la région de Châteauroux, en 2016, au prix de 128.000 €.

La maison comprend une entrée, une cuisine aménagée, un séjour salon avec une cheminée, trois chambres, une salle d’eau, salle de bains et toilettes indépendants. Au sous-sol, il y a également une pièce, un bureau, une buanderie et une chaufferie, cave, garage, des toilettes indépendants et cette maison est également dotée d’un grenier d’un jardin et d’une terrasse.

Tout pour plaire à Madame T !

L’acte de vente est signé en juin 2017 et Madame T entreprend des travaux d’embellissement.

Mais là, c’est le drame !

Lorsqu’elle détapisse les murs de la maison, elle découvre d’importantes fissures et lézardes.

Elle mandate une société qui conclut au caractère structurel et évolutif de celle-ci.

Le ciel lui tombe sur la tête, le rêve vire au cauchemar.

Madame D assigne alors sa venderesse aux fins d’expertise judiciaire.

Un expert est nommé et il dépose son rapport en décembre 2017.

Il conclut qu’excepté les dégradations sur le mur de refend du rez-de-chaussée, les dégradations observées sont inhérentes à la vétusté du bien.

S’agissant du mur de refend, Il conclut à un défaut de conception.

Il constate qu’il y a une redistribution interne des efforts. L’ouvrage étant désormais stable dans sa globalité, afin de ne pas aggraver les désordres, il convient de ne pas charger le solivage du plancher. Cela signifie qu’en l’état le grenier est considéré comme non exploitable.

C’en est trop pour Madame T.

Madame T saisit le tribunal judiciaire de Châteauroux et sollicite, à titre principal, l’annulation de la vente, à titre subsidiaire, la résolution de la vente et la condamnation de la venderesse à lui verser une somme de 248 000 €.

Cependant, le tribunal judiciaire lui donne tort.

Elle interjette appel et présente les mêmes demandes.

Cependant devant la cour d’appel, elle perd à nouveau.

La cour d’appel considère qu’il n’y a pas dol.

En effet la maison appartenait auparavant à la venderesse, par héritage, par suite du décès de sa mère. Elle n’avait jamais vécu dans cette maison et elle n’y avait jamais réalisé de travaux.

La venderesse pouvait donc parfaitement ignorer le désordre structurel.

La preuve de la commission d’une manœuvre pour parvenir à vendre n’était donc pas rapportée.

La cour rejette également toute demande au titre de l’obligation de délivrance conforme.

Elle retient en effet que ni compromis ni l’acte authentique de vente n’avaient fait état du caractère exploitable ou aménageable du grenier.

Enfin, l’action au titre de la garantie des vices cachés était rejetée.

L’acte de vente stipulait une absence de garantie des vices cachés de et je rappelle cette absence de garantie ne cesse qu’en démontrant que le vendeur avait connaissance du vice.

Or, ici, la preuve de la connaissance du désordre d’ordre structurel par la venderesse n’était pas rapportée.

Madame T a véritablement le sentiment de s’être fait avoir et elle forme donc un pourvoi en cassation.

Elle soutient deux arguments :

1°La venderesse avait connaissance de la fissure, qui était connue même des voisins. Et si dans le mandat de vente qu’elle avait signé avec une agence immobilière, il était indiqué un potentiel de 90 m² aménageable de grenier, si cette mention n’avait pas été reproduite au compromis, c’était bien qu’elle savait que le grenier ne l’était pas.

2° la venderesse a manqué à son obligation de délivrance conforme ainsi qu’à son obligation d’expliquer clairement ce à quoi elle s’engageait, en lui vendant un bien doté d’un grenier sans faire mention de son caractère inexploitable.

A votre avis, a-t-elle obtenu gain de cause ?

La réponse est oui.

Dans cet arrêt du 21 décembre 2023 (RG n° 22 – 21. 518), si la Cour de cassation rejette l’argument relatif à la connaissance du vice par la venderesse, puisque cela relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, en revanche celui relatif à l’obligation d’expliquer clairement ce à quoi on s’oblige fait mouche.

La Cour de cassation reproche en effet à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si la mention de l’existence d’un grenier dans l’acte de vente n’impliquait pas qu’il soit nécessairement utilisable.

On verra bien ce que la Cour d’appel décidera.

Moralité

Il est conseillé dans les actes de vente en de mentionner ce genre de précision.

Cela protégera contre toute velléité d’action en annulation, en résolution de vente ou en dommages et intérêts.

L’acheteur ne pourra ainsi arguer avoir été tenu dans l’ignorance de la situation réelle du bien.